Interview Thibault van de Werve - Programmateur court-métrages au BIFFF
Dans cette interview, nous discutons avec le programmateur des court-métrages du Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF) à propos de la sélection des courts au festival.
Indie-Clips Interview
Thibault van de Werve : Programmateur des court-métrages au BIFFF
Ambre : Bonjour Thibault !
Thibault : Bonjour !
Ambre : Peux-tu nous en dire plus sur toi et ton rôle au Brussels International Fantastic Film Festival?
Thibault : Mon rôle en tant que responsable de la programmation des courts, c'est de gérer le comité de sélection. On est 6-7 personnes dans le comité. Il y en a qui font toutes les sections, d'autres n'en font qu'une ou deux. Moi, je regarde tous les films et je dispatche un peu aux autres. Les autres ne voient pas tout. Il y en a qui voient beaucoup, d'autres un peu moins. Ensemble, nous faisons la sélection. Après, c'est moi qui contacte les distributeurs, les équipes des films, pour confirmer la sélection, récolter le matériel, répondre à toutes leurs questions, organiser l'ordre des films dans les séances. Je m'occupe donc de tout ça.
Ambre : Les personnes dans le comité de sélection ont-elles en général envie d'être impliquées dans l'ordre du screening des courts ?
Thibault : ça dépend. Ces réunions de sélection prennent du temps, alors c'est arrivé qu'on le fasse à 2 et qu'on propose la programmation, on en discute avec tout le monde de toutes façons. Je ne suis pas un dictateur! (rires)
Ambre : Quels genre de personnes composent ce comité de sélection?
Thibault : Plusieurs sont employés au festival ou collaborent autrement avec le festival. 2 de nos projectionnistes, notamment. 1 autre est un bénévole, comédien qui travaille donc dans le jeu, l'artistique. Tout le monde est lié de près ou de loin au festival, au cinéma ou à l'art. On est un groupe assez variés. Il n'y a que 3 femmes pour 4-5 hommes et j'aimerais plus de mixité, mais en termes de personnalité, d'horizon etc nous sommes variés et cela permet de faire des sélections variées, représentatives de ce qu'il se passe, et je suis content du profil des membres du comité.
Ambre : C'est important pour toi que les équipes soient variées ?
Thibault : Hyper important. C'est de moins en moins le cas mais on voit trop de festival ou de comité où c'est un peu trop que des mecs dans le comité de sélection. Ce n'est plus acceptable.
Ambre : Pour parler de toi et de ton parcours, comment en es-tu devenu à devenir programmateur de court-métrages au BIFFF?
Thibault : Wow! (rires) Eh bien j'ai toujours été passioné par le cinéma. Pendant des années, j'écrivais sur des forums, puis sur le blog Cinephilia en 2013. J'ai commencé à aller au BIFFF en tant que journaliste en 2013 aussi, puis j'ai fait un stage au BIFFF dans le cadre de mes études 2 années plus tard, j'étais stagiaire en presse. Par la suite, je suis revenu en tant que bénévole, j'ai animé des séances de question réponses pour des longs métrages, puis j'ai travaillé au BIFFF Market en 2018, puis après 2018 j'ai remplacé une autre collègue qui s'occupait des accréditations mais aussi de la sélection des court-métrages. Elle avait pensé à moi avant et j'ai fini par le faire, et j'ai donc commencé comme ça. Comme regarder des films a toujours été une passion, ils sont venus assez naturellement vers moi pour que je le fasse.
Ambre : Et tu as été attiré par le BIFFF parce que tu aimes le film de genre particulièrement ?
Thibault : J'ai toujours regardé de tout. Le cinéma d'horreur n'était clairement pas mon genre de prédilection. Le fantastique, un peu plus, la science-fiction un petit peu plus... Mais je ne pense pas que j'avais une passion particulière pour le cinéma de genre plus que d'autres genres, tu vois. Mais c'est le premier festival de cinéma où je me suis rendu et j'en suis vite tombé amoureux. C'était surprenant, la première fois que j'y ai été, l'ambiance, tout ça.. C'est vite devenu mon festival préféré en tant que festivalier.
Ambre : Quels sont, d'après toi, les plus grands atouts du format court pour un film?
Thibault : Je pense que l'atout si on parle du côté purement cinématographique, c'est que tu peux faire des films à concepts; Des films avec des idées simplles que tu peux mettre en applicatione t suffisamment développer dans un court, que tu ne pourrais pas spécialement faire en long, ou en tous cas pas aussi bien. Ca fait maintenant 5 ans que je fais ça, et j'arrive à un point où nous avons déjà sélectionné des courts que les réalisateurs ont par la suite adapté en long. Je vais prendre 2 exemples de court-métrages géniaux.
Il y en a un, l'idée était géniale, ça se passait dans une bagnole, une histoire de mec enfermé dans un coffre qui avait un dialogue avec la personne qui l'avait kidnappé et ça donnait super en court. Et le long, c'était une catastrophe, vraiment nul. En plus le film arrivait pén,iblement à 1h10, 1h20 mais le mec n'avait rien pour faire un long, quoi.
Par contre il y a un autre film qui s'appelle Cerdita (Piggy), elle a fait un court qui était génial qu'elle a ensuite adapté en long. Et en regardant le long je me suis demandé si elle n'avait pas d'abord écrit son long, puis fait el court pour arriver par la suite à monter son long. Mais non ! Elle a d'abord fait son court, puis elle a développé ensuite son long. Et ça fonctionnait bien. Tout ça pour dire que parfois tu a sune super idée pour format court que tu peux bien développer (en un quart d'heure, c'est déjà bien ça n'a pas besoin d'être plus long). mais voilà le format court permet de développer des chouettes concepts de films, et se rendre compte si ça fonctionnera de le développer en long ou pas. Aussi tout simplement de développer des histoires qui n'ont pas besoin de durer 1h30.
Ambre : Certaines histoires valent la peine d'être écrites en 15-20 min.
Thibault : Oui tout à fait, en format court c'est plié et c'est super. Puis l'avantage du court dans un poitn de vue de carrière, c'est que tu es obligé de démarrer quelque part. Tu ne peux pas démarrer direct dans le long, arriver et dire "j'ai une idée de long". D'accord, qu'est-ce que t'as fait avant? Rien. Ah. En tant que programmateur, je vois de plus en plus de gens dont on a passé les court-métrages qui sont ensuite passés au long métrage qu'on sélectionné également derrière et donc oui, c'est possible. Faut pas se dire "Je vais faire du court toute ma vie" ! Y'en a qui vont faire que du court toute leur vie et c'est très bien, mais si tu veux passer en long, c'est clair que tu dois passer par le court d'abord, c'est impossible sans ça.
Ambre : Oui
Thibault : Il y a des gens, je pense que ils ne se rendent pas compte. Je remarque que plein de cinéastes quels qu'ils soient qui ne comprennent pas comment fonctionne l'industreie derrière. Ils savent comment écrire, réaliser, monter un film, tout ce que tu veux mais ils ne comprennent rien ou ne savent pas comment faire exister ton film par la suite. Quel est le circuit, quel est le mode économique. En court, le mode économique est très limité.
Ambre : C'est vrai qu'il y a des court métrages qui meurent après le montage final, finalement.
Thibault : Dans le court, tu as la vie en festivals, l'achat en télé, et ça s'arrête là.
Ambre : Certains ne vont pas jusque là.
Thibault : Non, c'est malheureux mais certains ne vont pas jusqu'en festival. Faire une sélection, c'est pas facile. Ce n'est pas parce que on ne prend pas ton film qu'il n'est pas bon. Il entre en compétition avec d'autres films qui peut-être s'inscrivent mieux dans la sélection, alors chaque année nous prenons des films qu'on aime peut-être un peu moins mais qu'on estime pertinents de prendre pour des raisons de scénario, de thématique, artistiques, un bon concept, une super performance... Il y a un intérêt et on estime qu'il faut montrer ça au public, même si c'est pas parfait, montrer voilà regardez il y a du talent là, plutôt que de montrer que nos films classiques préférés qui sont parfaits et que tout le monde adorerait. On ne prend pas d'office nos films préférés, ça dépend.
Ambre : Justement j'allais te poser la question : dans votre procédé de sélection, qu'est ce qui va faire ressortir un film? Est-ce que vous recherchez de l'unique ?
Thibault : Oui et non, pendant le procéssus de sélection on va voir les films qui se détachent, que tout le comité a aimé. Déjà on commence le visionnage des films début Octobre, on termine fin Janvier-début Février donc au moment de la sélection on va voir, okay, ça ce sont les films qu'on a préféré... Maintenant à revoir des mois plus tard. Parce que peut-être que les films que tu as vu en début de sélection, tu les trouvais bien mais 6 mois plus tard tu te dis que ce n'était pas si bien que ça. A l'inverse, il y a des films que tu n'avais peut-être pas bien noté au début et dont tu te rappelles encore des mois plus tard, alors tu reviens dessus et tu te dis ah, finalement, ça c'était pas mal, j'aime bien ça, ça m'est resté... Une fois que tu as fait un peu le tri de tout ça, tu vois comment ta sélection se dessine, quels sont les films que tu vas mettre en compétition, quels films tu vas mettre avant un long métrage parce que c'est une histoire un peu courte, rigolote ou gore que tu verrais bien devant un film... Et tu vois, tu mets en comparaison plein de trucs qui sont incomparables en fait. Certains films parlent de trucs hyper profonds, y'en a qui sont très drôles, très efficaces, il faut voir comment tu articules tout ça dans ta sélection et il n'y a pas de recette dans la façon de faire, les critères sont très différents. Plus tard dans le processus, la durée du court-métrage va aussi entrer en jeu. Est-ce que tu vas préférer prendre 2 films de 10 minutes ou 1 film de 20 minutes? Systématiquement, nous privilégions les raisons artistiques comme la mise en scène, le concept, un comédien / un sujet excellent... Par exemple, Au Prix de la Chair (sélection 2024), c'est original comme truc ! C'est un oeil filmé en plan fixe et tu vois ce qu'il se passe à travers le reflet de l'oeil. Ce film n'était pas forcément un des préférés de base, mais on trouvait le concept hyper intéressant. Les critères, c'est compliqué...
Ambre : C'est intéressant à savoir pour les réalisateurs, qu'ils sachent tout ce qu'il se passe dans le procédé derrière la programmation et qu'ils se rendent compte que ne pas être sélectionné cette année là, ça ne veut pas dire qu'ils ne rentraient pas dans les critères.
Thibault : Complètement. D'ailleurs pour notre projection Européenne, notre but c'est de faire une projection de films européens et à un moment il y a des pays plus représentés que d'autres, la France, l'Espagne, l'Angleterre... Et à un moment même si on trouve que tous les films anglais, français ou espagnols sont super, on ne va pas faire une programmation européenne de 15 films avec 7 espagnols et 8 français, tu vois? Donc peut-être que le film Grec, on aura trouvé qu'il y a 4 films français meilleurs que celui-là, mais le film Grec a quand même un petit quelque chose et puis c'est bien d'inclure d'autres pays aussi.
Après, juste le pays n'est pas un critère, mais on essaie de varier. C'est aussi une mission, en fait.
Voilà on est là pour montrer des film européens, et si on reçoit un film d'estonien, on ne reçoit pas souvent des films Estoniens, c'est déjà arrivé, mais rarement, il faut se dire : "c'est quand même bien le film Estonien, parce que déjà le film est intéressant, il mériterait d'être dans une compétition..." Voilà, même s'il y a peut-être d'autres films qu'on aura préféré.
Voilà, c'est une question aussi de... mission, en tant que festival, il y a une mission culturelle derrière, montrer ce qui existe.
Ambre : Je pense que c'est apprécié par le public aussi, que vous soyez varié.
Thibault : C'est le but du festival aussi, montrer ce que tu ne verrais pas ailleurs.
Ambre : Cette année, quel était ton court métrage coup de coeur au BIFFF 2024?
Thibault : J'aime toute la sélection ! Mais pour répondre à la question, j'aime beaucoup le film Lullaby qu'on a passé dans la compétition européenne, film anglais-américain qui parle de l'immigration. J'aime vraiment beaucoup la façon dont la réalisatrice a décidé de parler de ça, surtout que c'est une histoire personnelle pour elle... Le film m'a beaucoup touché, la photographie est superbe, les décors... C'est canon.
Ambre : C'est vrai que celui-là met les larmes aux yeux.
Thibault : Mais j'aime tellement de films !
Ambre : C'est vrai que pour avoir été présente à la projection des films en compétition européenne, chacun d'entre eux avait sa particularité, et ont tous touché d'une façon différente. On se souvient bien de chacun d'entre eux. J'ai une question que j'aime poser aux professionels de l'audiovisuel : quel conseil donnerais-tu aux jeunes réalisateurs qui veulent distribuer leur court-métrage en festival?
Thibault : Essayer de trouver un distributeur idéalement, économiser de l'argent parce que ça coûte cher. Envoyer son film en festivals, c'est pas gratuit. De plus en plus de festivals rendent ça payant sinon tu reçois tout et n'importe quoi. Donc déjà, bien se renseigner sur les festivals avant d'envoyer votre film. Si il y a des thématiques en particulier... Ne pas envoyer une comédie à un festival d'horreur, il ne faut pas être hors-sujet. Mais il faut aussi avoir un budget, clairement, ça prend du temps, ça coute de l'argent, et il faut bien cibler ce qu'on veut. Etablir une stratégie de sortie en festival ce n'est pas aussi simple.
Dans le cinéma de genre, il y a des circuits qui existent et sont intéressants. Evidemment il y a des festivals généralistes qui existent et qui passent aussi des courts de genre, comme Sundance, SXSWest, Toronto pour ne citer que ces 3 là, mais il y a des circuits de festivals de genre. Le circuit de la fédération Méliès dont le BIFFF est l'un des membres fondateurs et qui regroupe vraiment plein de festivals de cinéma de genre, dont Sitges qui est le plus gros festival de genre au monde, mais aussi des gros festivals à l'étranger: Fantaspoa au Brésil, Fantastic Fest à Austin, Bifan en Corée du Sud, Fantasia à Montréal... Et là je parle vraiment des plus gros, dont le BIFFF. Le BIFFF est dans le top 5-6 mondial du cinéma de genre.
Ambre : Chaque année, combien de films sont sélectionnés en général?
Thibault : Cette année (2024), je pense qu'on était à 40-45 films sélectionnés sur 600 films envoyés. Certains films, j'étais allé chercher moi-même en regardant le programme d'autres festivals, et puis nous recevons certains films avant leur passage dans d'autres festivals, c'est à dire parfois même avant leur première mondiale. Nous avons parfois eu plus de films sélectionnés, ça dépend de la durée des séances prévue. Ce n'est pas la même chose chaque année.
Ambre : J'imagine que ça vous prend plusieurs mois pour préparer toute cette sélection ?
Thibault : Les soumissions ouvrent tout début Septembre et nous fermons les soumissions fin Janvier, puis on commence la sélection début Février pour l'évènement qui se tient en Avril.
Ambre : C'est un temps assez restreint ?
Thibault : Pour les courts, on fait toute la sélection en une fois et avoir le matériel ce n'est pas trop compliqué. Pour les longs on sélectionne petit à petit. C'est pour les longs que c'est plus chiant (rires).
Ambre : Tu es aussi impliqué dans la sélection des longs?
Thibault : Je suis dans le comité de sélection des longs, ouais. Après je ne m'occupe pas de demander le matériel etc. Je regarde juste les films. enfin, juste... (rires), c'est déjà beaucoup.
Ambre : Pour clôturer l'interview, dis-nous en plus sur tes plans futurs ! Et as-tu déjà des informations sur la prochaine édition du BIFFF?
Thibault : Non, c'est encore trop tôt! (rires) Maintenant je vais profiter de mon été puis je reprends à Mostra de Venise fin août, j'enchainerai sans doute avec le festival de San Sebastian auquel je vais depuis quelques années, puis le gros du travail du BIFFF va redémarrer début Octobre. Je m'occupe des courts mais aussi des invités au BIFFF, donc pendant le festival le gros de mon boulot c'est les invités, non stop toute la journée du matin au soir, j'organise les trajets de tout le monde (trajet entre l'hôtel, le festival, les restos...).
Ambre : Comment les réalisateurs peuvent-ils soumettre leurs films à la prochaine édition du BIFFF?
Thibault : Toutes les infos seront sur le site officiel du BIFFF. Pour les soumissions nous passons par Festhome. L'ouverture des soumissions des court-métrages sera à mon avis vers le 26 Janvier, quelque part par là.
Ambre: Les réalisateurs peuvent également retrouver les appels à court-métrages du BIFFF sur les réseaux sociaux
Instagram : @bifff_festival
Facebook : https://www.facebook.com/BrusselsInternationalFantasticFilmFestival
Site internet : https://www.bifff.net/
Thibault : Oui, tout à fait!
Interview Thibault Van De Werve x Ambre Vanneste
Le Mercredi 12 Juin à Bruxelles